La clope au bec, les mains enfoncées au plus profond de ses poches et les yeux dans le vide, Thaïs fixait sans les voir les étudiants qui passaient devant lui. Le corps bien présent mais l’esprit loin, il était adossé contre cet arbre depuis dix bonnes minutes déjà. Inconscient de ce qui l’entourait réellement mais à l'affût de la moindre sensation. Le brouhaha des conversations, le vent contre sa peau, l'odeur de l'herbe fraîchement coupée. Cet état second n’avait rien à voir avec le joint qu’il avait fumé le midi et qui avait eu pour seul effet de dilater ses pupilles. Ce genre de choses ne lui faisait plus grand effet depuis bien longtemps. L’habitude de fumer, d’à peine doser pour réussir à suivre quelque chose en cours mais juste assez pour se sentir un peu plus détendu que la normale. Plusieurs mois déjà qu’il usait de ce stratagème et il était toujours major de sa promo. C’était à croire que les médias mentaient et que la drogue n’attaque pas vraiment les neurones. Ce fut la vibration de son téléphone dans l'une de ses poches qui le sortit de sa transe. Sur l’écran s’affichait la photo d’une fille de son âge, envoyé par l’un de ses potes. Thaïs se prit en photo, grimaçant pour montrer son désaccord et replongea l’appareil dans la poche de sa veste. Une demi-heure, c’était le temps dont il disposait avant son dernier cours de la journée. Une éternité donc, quand on était condamné à attendre dehors que le temps passe. C’est là qu’il le vit. Sa démarche, sa carrure, son allure, ça ne pouvait être que Sirius. Il marchait d’un pas déterminé vers lui, comme s’il savait parfaitement où le trouver. Sirius son frère aîné, son héro, la seule figure paternelle qui lui reste. Sirius le chieur, le protecteur, l’inspecteur. Relation en demi-teinte depuis quelques mois, depuis la mort du chef de famille Bellamy. Thaïs n’avait rien contre son frère, ni contre sa famille d'ailleurs. Chaque jour, il forgeait un peu plus sa carapace, souriant à tout va, prétendant aller bien, ne pas être touché, à terre. Parce qu’il était fier Thaïs, fier comme un putain de paon. Trop fier pour avouer qu’il souffre, trop fier pour demander de l’aide. Son arrogance qui l’étouffait lentement tandis qu’il se complaisait dans les ténèbres. « Salut, tu t’es perdu ? J’suis sympa, j’montre l'chemin aux premières années qu’ont l’air sympa. » Les vannes, toujours les vannes. Parce que c’est tellement plus facile de sourire plutôt que d’être heureux.