Cet appel est interminable. Allongée sur le dos dans son lit, Zola est obligé de repousser les limites de son imagination pour continuer à raconter ce fantasme érotique gerbant et celles de sa patience pour ne pas simplement raccrocher. Elle pense à ce joli appartement, incroyablement cher, qu'elle doit payer à la semaine. Ça la motive à travailler même lorsqu'elle a terriblement envie de sortir. De sa baie vitrée, elle peut voir la ville vomir ses lumières colorées ne s'éteignant jamais. Cela fait une moitié d'année que la jeune voyante s'est installée à Vegas mais ces néons agissent encore sur elle à la manière de sirènes. Lorsque le sommeil refuse de venir, elle accepte de les rejoindre. Parfois elle se contente de marcher une heure, observer les façades et les touristes. D'autres fois, elle ose pousser la porte d'un bar pour écouter le brouhaha général et le mélange des langues. Vegas lui apparaît comme le centre du monde. Là où toutes les richesses, qu'elles soient matérielles ou culturelles, s'accumulent et dansent ensemble.

Quand enfin son client lui lâche la jambe et raccroche, Zola roule sur son lit et observe ces rues, cette fourmilière grouillante. Et encore une fois, elle cède. Une heure et demi plus tard, sa veste en cuir sur les épaules, la voila déambuler sur le strip. Elle a passé les deux dernières journées à travailler et prendre l'air lui fait du bien. Le climat du Nevada est bien agréable que celui du Royaume-Uni et la douceur des nuits la surprend encore. Minuit est déjà largement dépassé, pourtant, elle croise de nombreux visages, plus ou moins heureux et plus ou moins sobre. Elle aime ça, être dans une ville qui ne meurt jamais. Les bars ne ferment jamais et réservent toujours des surprises. D'humeur joueuse, elle décide de provoquer le destin et pousse les portes de la Stratosphère pour rejoindre un de leurs nombreux bars. Quitte à devenir alcoolique, autant le faire avec style. Zola se bénit d'avoir pris le temps de s'apprêter avant de sortir : à l'intérieur, tout le monde est sur son 31. Elle prend place au comptoir, commande un old-fashioned et observe. Derrière elle, de nombreux clients s'acharnent sur des bandits manchots. Parmi les visages souriants, quelques vrais accrocs se meuvent tel des robots. Zola ne peut s'empêcher de se demander depuis combien de temps ils sont là, à mettre un jeton, tirer ce levier, attendre le résultat puis recommencer. Ça lui donne froid dans le dos, mais ne lui coupe pas la soif. Elle sirote sa boisson, cherchant un spectacle plus intéressant. Il y a bien ce couple qui se dispute sans qu'elle ne puisse entendre la raison. Alors elle devine, invente, fantasme. Il y a tellement de possibilités qu'elle ne peut pas toutes les envisager et c'est là qu'elle à besoin de toi, la personne assise sur le tabouret voisin. Sans préavis, la voyante se penche vers toi et te glisse avec malice : C'est leur premier voyage ensemble, loin de la femme du type. Une aventure extra-conjugale qui était passionnée, mais qui commence à pourrir. Là, madame hurle parce que monsieur a osé mettre la montre offerte par son épouse plutôt que celle qu'elle lui a ramené de Zurich pour Noël dernier. Elle te désigne le couple en pleine querelle et t'explique, sans te laisser le temps de l'envoyer valser : C'est un jeu. On essaie de deviner leur vie. À toi.

Tu ne sais pas à quel point Zola est ravie que tu rentres dans son jeu. Elle ne te laisse pas le voir autrement que par un petit sourire complice. Elle est contente d'avoir misé sur toi, le jeune solitaire, plutôt que sur le quinquagénaire assis à sa droite. Lui, il l'aurait sûrement envoyé se faire voir ou lui aurait fait quelques propositions indécentes. Toi, tu es automatiquement catégorisé comme pote potentiel, pour avoir accepté d'essayer de jouer avec elle. Et pour ta légère odeur de joint qu'elle peut sentir, tant elle s'est approchée de toi pour te parler. Derrière vous, votre couple favori continue de se déchirer. La voyante écoute attentivement ta théorie, sirotant son verre. Ce n'est pas aussi classe que tes shooters et elle regrette de ne pas y avoir pensé plus tôt. Elle lorgne discrètement dessus.

Elle fait un "tss" de la bouche quand tu as terminé ton tour de jeux, et reprends de plus belle. Elles sont moches, ces boucles d'oreilles. Trop lourdes, elle ne peut pas les porter toute une soirée ! Et puis il devrait savoir que l'argent lui crée des poussées d'eczéma. Vraiment, il n'écoute jamais ce qu'elle dit, elle en a marre. Il ne vaut peut-être pas mieux que son mari actuel. Dit-elle sur un ton agacée, prenant ironiquement le côté de la femme. Ses yeux se baissent sur ce que tu fais glisser sur le comptoir. S'il y a bien une chose à laquelle Zola ne sait pas dire non, c'est à la nourriture ou l'alcool gratuit. Surtout quand elle envisageait de se payer elle-même une tournée de shooters. Elle te gratifie d'un sourire, trinque avec toi, avant de lancer le contenu du petit verre au fond de sa gorge. Un geste sec et maîtrisé démontrant une certaine habitude. 67.5%. Ca dépendra de sa capacité à arrêter d'envoyer des coup d'œil à la jolie blonde de la table de blackJack. Elle prend un air détachée et sûre d'elle quand elle dit ça, elle joue à celle qui a tout compris. Elle veut t'impressionner. Elle est comme ça, Zola. Elle veut être vue comme la cool girl par tous les jeunes qu'elle rencontre. C'est pour ça qu'elle est devenue voyante, à la base. Pouvoir en rigoler en soirée et avoir une phrase d'accroche sur Tinder. Ca n'est pas récompensé d'une franche réussite, à son grand malheur.

La jeune femme fait pivoter son tabouret pour faire face au reste de la salle, s'adossant négligemment au bar. Ses yeux se baladent sur les clients sans transmettre la moindre émotion. Encore un truc de meuf cool, tu comprends ? Avec un peu de chance, ils engageront une troisième personne pour pimenter tout ça. Tu prends combien de l'heure, toi ? Ne t'offense pas, Zola s'imagine que tous les jeunes attendant aux comptoirs des casinos de Vegas sont des prostitués. Elle n'a rien contre les prostituées, elle en est presque une elle-même. Elle pense juste que cette question te fera penser qu'elle est vraiment au courant des usages de la ville, malgré sa couche d'accent écossais. Elle met le paquet pour t'impressionner, tu vois ?