petite musique
1. Tu te demandes encore, à quel moment tout a basculé. À quel moment la vie si parfaite que tu pensais vivre n’est devenue qu’une farce. Oui, tu te demandes encore. Et pourtant, tu le sais bien, que c’est ce fameux jour. Celui où tu pensais qu’il parlait de toi. Du haut de tes quinze ans. Du haut de cette adolescence compliquée et douloureuse. Celle où le corps change, celle où l’on s’apprend, se comprend et essaie de s’accepter. Oué, c’était à cette époque. Cette putain d’époque où tu as vu pour la première fois tes parents s’engueuler. Là caché dans un pas-de-porte. Violemment. T’avais même pensé que papa allait taper maman. Mais, il n’en a été rien. Non. Rien du tout. Il s’est juste arrêté, le visage brisé. Peut-être autant que le tien, de visage, de cœur. Le silence revenant après les cris. Les excuses murmurées par maman. Et toi. Toi et tes mains tremblantes, tes yeux humides. Fuyant rapidement cette scène que tu n’aurais pas dû surprendre. Non. Parce qu’ils ne te l’ont jamais dit. Jamais. Que t’étais pas le fils de papa. Mais, la famille parfaite l’est restée. Le secret bien enterré.
2. Rire doux, qui glisse là, d’entre tes lèvres alors que ton visage plonge dans le cou pâle qui te fait face. Les mains de l’autre glissant sur tes hanches. Tu te sens puissant, maître du monde. Alors que le baiser glisse sur vos lèvres. Cœur qui bat trop fort. Corps qui brûle. Premier petit ami. Tu ris à ses côtés alors que vous marchez main dans la main en pleine rue. Parce que putain, t’es gay. Et tu l’assumes haut et fort. Parce que c’est toi. Parce que y a eu les doutes, les peurs. Et le bonheur. Et que tu ne te cacheras plus. Non. Jamais. Les pleurs de maman, les cris de papa ? Ils sont passés. Ils n'ont pas accepté, mais, se taisent. Et, c’est bien suffisant. Alors, marcher main dans la main. Rire et profiter. Premier petit ami, premiers émois, premiers plaisirs. Tu ne l’oublieras sûrement jamais. Mais, c’était il y a quelques années maintenant. Après quelques larmes, quelques cris. C’est souvent ainsi que ça finit. Le premier amour. Puis, quelques autres, pas si longtemps que ça, pas si souvent que ça. Mais, profiter, apprendre à se connaître. Apprendre à connaître son corps, son plaisir. Puis, tomber amoureux. Encore. Encore. Mais, le regarder de pas si loin, de trop loin. Cœur épris à nouveau. Tu le veux pour toi.
3. Solaire de ton sourire trop grand. Solaire de ta positivité, t’es le gars de la raison. Celui qui empêche les potes de faire des bêtises plus grosses qu’eux. Mais, qui rit malgré tout aux petites. Parce que y a qu’une vie. Et qu’il faut en profiter. Pas coincé, aller vers les autres. Les pousser, les toucher. T’es le gars sociable qui attire. Peut-être parce que y a ta gueule, un peu, d’un ange. Mais, de ça t’en à rien à foutre. Putain. Tu veux juste vivre. Vivre. Et en profiter. Peut-être que c’est pour ça que t’as commencé à graver ta peau. Peut-être que c’est pour ça, que parfois tu fonces tout droit, sans te poser de questions. Sans qu’il puisse y avoir de retour en arrière. Parce que putain. Que faut-il mieux regretter. D’avoir fait ou pas fait ?
4. Tu ne te souviens plus vraiment, quand est-ce que t’as commencé à regarder les étoiles. De tes yeux trop brillants, de ton esprit trop tournant. Pour comprendre ce monde, cet univers, cet ailleurs que tu ne connaissais pas. Mais, cette curiosité, cette envie, ne t’a jamais quitté. Au point d’en faire tes études. Étudiant sérieux, tu rêves, un jour peut-être, de découvrir de nouvelles planètes ou même d’aller dans l’espace. N’est-ce pas ce que tu as dit au Père Noël ? Du haut de tes cinq ans lorsque tu lui as demandé un télescope. Ça t’inspire, t’aspire. Tu pourrais rester plusieurs heures allongé à même le sol pour regarder le lointain. Les étoiles qui brillent. Les planètes que tu sais là. Et celles que tu imagines. Passion dévorante, ta chambre d’ado est encore remplie de poster et autres livres qui en parle. Et, tu penses que jamais tu ne t’en sépareras. Livre de chevet, livre de travail. Tu les dévores comme ça te dévore. Un jour, tu iras.
5. Ça fait quelques mois maintenant que t’as commencé à bosser au Léopard. Serveur, tiré sur ton trente-et-un, sourire chaleureux sur le visage. Tu passes de table en table pour servir les clients. Parfois très chics, d’autres un peu moins. Tu en vois du monde, des gens, des personnalités et des nationalités. C’est intéressant. Mais, surtout, ça te permets de mettre des sous de côtés. Ton argent. Par le leur. Celui des parents. Prouver que tu peux couper le cordon. Pour fuir, loin, cette façade de bonheur gangrenée.