Heureusement pour sa jolie petite gueule, Lazlow connaissait par cœur les ruelles qui entouraient les mille et une nuits, et il en profitait largement pour tenter de perdre ses poursuivants. Si on lui demandait, il ne savait foutre pas ce que ces gars lui voulaient ; en réalité il avait une idée bien précise.
On lui avait pourtant dit et répété qu'il fallait pas toucher à la moto d'un mec, et surtout pas faire le malin dessus comme s'il était en représentation au cabaret... Rien à faire l'esprit joueur et caustique de Laz avait trouvé très drôle et très malin de faire le con, et maintenant les types le suivaient pour « lui donner une bonne leçon », un truc pas très original dans le genre.

Il agrippa un grillage qui claqua sèchement, se hissa par-dessus, et atterrit dans l'arrière-cour des Mille et une nuits ; son regard à la chaude couleur chocolat brilla en constatant que son collègue était là, à faire il ne savait quoi.

« Salut Raz ! Prend un air innocent, d'accord ? »

Il se faufila dans un recoin de la cour avec sa souplesse de danseur, disparaissant à la vue des motards qui remontaient une allée en courant. Lazlow passa la langue sur ses lèvres, retenant son souffle.
Un barbu à la vague ressemblance avec le Christ – si Jésus s'était promené en veste en cuir râpée – s'adressa à Raziel :

« T'aurais pas vu un grand connard qui fuyait ? »

Raz finit sa clope avant la reprise des hostilités, là, à l’intérieur, dans les effluves d’encens qui lui crament les sinus. Il pense encore à son altercation avec le boss. Il a mérité cette correction en bonne et due forme, n’empêche…il ne parvient pas à ressentir une seule once de culpabilité. Il n’a jamais été un grand récalcitrant, très pro dans son approche, mais cette fois, comment dire, c’était différent. S’il avait les mots, ça irait mieux thérapeutiquement parlant, mais il lui manque le vocabulaire du raisonnable.

Alors que ses pensées divaguent, il est fraîchement interrompu par son…quel nom pourrait convenir…? acolyte ? fauteur de troubles ? fouteur de merdes ? andouille numéro une ?

Il voit le danseur faire une virevolte avant de disparaître dans un coin. Ensuite apparaissent des molosses à la mine patibulaire, tout ce qu’il y a de plus réconfortant voyez-vous.

« J’vois que j’ai encore le beau rôle… » grommelle Sultan, en proie à une terrible hésitation. Défendre son collègue par solidarité ou le jeter dans la fosse aux lions pour le faire méditer sur ses actions ? Ce n’est pas la première fois qu’il a chaud aux fesses Lazlow, c’est même devenu une sale habitude.

Raziel présente bien, toujours, très droit, très hautain, pas le genre qu’on embête, sourcils froncés, il se racle doucement la gorge pour se donner une contenance. Que va-t-il inventer ?

« Ah ouais, j’ai dû voir une tapette passer par ici, mais l’type est déjà loin à mon avis, vous aurez du mal à lui mettre la main dessus. Vous lui voulez quoi au juste ? »

Autant se renseigner sur la teneur des agissements de son ami pour mieux le disputer par la suite…

Joueur mais pas fou non plus, Laz se terre comme un lapin.

Lazlow, bien planqué, manqua de protester en se voyant cavalièrement traité de tapette par son collègue qui était censé le défendre en toutes circonstances – c'était Laz qui avait unilatéralement décidé ça – mais comme les motards n'étaient pas loin, il prit plutôt le parti de la fermer soigneusement.

« Quelle direction ? » demanda le faux-Christ d'un ton bourru, apparemment décidé à faire payer l'outrage fait à sa moto.

Laz ne pouvait pas s'empêcher de se dire que 4 mecs comme eux contre un comme lui, c'était franchement abusé.

« Lui apprendre à éviter de jouer à la playmate sur la moto des gens. »

Il n'aurait jamais avoué le léger frisson de peur froide qui lui remontait le long de la colonne vertébrale, parce qu'il passait beaucoup d'énergie à avoir l'air indépendant et sans peur, mais il était bien présent.
Il n'avait pas toujours évité les soucis, même si Raziel était d'une grande aide, il fallait bien l'avouer.

 « Bon, merci », et le motard dégagea suivi de ses potes.

Lazlow sortit de sa cachette après avoir laissé passer quelques instants histoire d'être sûr, ébouriffé et le rire aux lèvres.

« Franchement, pour un selfie, ils abusent totalement, si tu veux mon avis. ça va Raz ? Merci au fait. »

Les motards, tout droit sortis de Sons of Anarchy, s’éloignent déjà alors que Raziel indique une direction vague. « Par là » qu’il sort, indiquant un point d’horizon infini. S’ils mettent un jour la main sur Laz, celui-ci est clairement foutu. Ils ont l’air suffisamment courroucés pour venger leur ego maltraité. Le lapin en cavale sort enfin de sa cachette, l’air effronté comme toujours, fier de son mauvais coup.

« Que ferais-tu sans moi ? »

Soupir blasé. Profond dédain pour le sort de ce garçon. Il n’aouvera jamais son attachement, son envie de le protéger. Il a peur de sortir une morale à deux balles histoire de le réprimander, ne serait-ce qu’un peu, ce phénomène.

« Arrête ton char, sale gosse va. Tu l’aurais méritée cette correction. »

Il ébouriffe les cheveux du gamin fini. Le grand frère veille. Il ne l’aurait quand même pas livré à ces types farouches.

« J’espère que t’as arrêté tes petits trafics… »

Sous-entendu : fumette, LSD, tout ça. Lazlow, la mule parfaite, naïf, juste comme il faut.

« Je t’ai encore vu l’autre jour avec des mecs louches. Cette fois, je n’irai pas te sortir du merdier, tu le sais. »

Alors t’embourbe pas trop. Sultan sait pertinemment que son acolyte vire dans les pires affaires du quartier, un vrai rapace des coups foireux. Un jour, ça finira mal.

« Ils vont te mettre une balle entre les deux yeux un de ces quatre. »

Ça sera vite fini. Il tapote le front du prétentieux. Faudra pas venir pleurer après les coups de batte.